La mentalité du colonisé

Bien sûr, nous ne sommes pas une colonie Belge. Bien sûr, on ne tue personne ici. Par contre, ce texte illustre des mécanismes psychologiques mis en jeu dans une relation de subordination d’un peuple à un autre que l’on retrouvent chez-nous.

J’ai mis deux phrases clés en caractères gras.  La première montre un exemple où la mentalité de colonisé s’efforce de justifier le maître même dans ses crimes.  Dans la seconde phrase clé, on voit que ceux qui s’opposent au maître sont durement jugés même quand, de toute évidence, c’est le maître qui a tort.  Ces comportement sont très courants de la part de nos partisans de la soumission au canada-des-anglos (ceux qui s’appellent fédéralistes).

Texte original tiré de http://www.burundibwacu.info/archives/spip.php?article1467

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« Pour liquider les peuples, on commence par leur enlever la mémoire »
– Milan Kundera,  Livre du rire et de l’oubli

Les crimes du Révérend Père Farine : un moment de notre histoire coloniale

Par Kiraranganya Boniface

Dans les années 1940, un missionnaire, le père Farine, pendait des enfants sur le clocher de l’Église à Mugera.

afrique-pleure

lundi, le 24 septembre 2007

J’ai vu le père Farine pendre un petit garçon hutu d’environ treize ou quatorze ans. C’était le cinquième enfant qu’il pendait, tous à peu près du même âge. Quelques mois plus tard, le père Farine a pendu un sixième enfant. Pour l’exemple. Sous mes jeux et sous les yeux de centaines et des centaines de témoins. J’étais alors en troisième année à l’école primaire de Mugera et j’avais douze ans. Tous ces enfants étaient accusés de la même faute mortelle : avoir manqué trop de messes le dimanche, de même que la messe obligatoire du mardi ou du jeudi pour tous les écoliers, ainsi que trop d’absences et de retards à l’école.

Nous utilisons ici le terme « pendaison », parce que la population de Mugera appelait cela « KUMANIKA KU NKENGERI » c’est-à-dire « pendre sur la cloche ». Le révérend père Farine, lui, appelait ce supplice « METTRE AU POTEAU » ou « ATTACHER AU POTEAU ». C’est l’un de ces deux derniers termes qui est le plus approprié, d’après la manière dont on procédait à l’exécution et dont voici quelques détails.

Devant l’Église, un peu en retrait à l’extrême droite, se trouvaient d’immenses échafaudages supportant les trois cloches de la paroisse. Chaque cloche était supportée principalement par quatre immenses troncs d’un arbre assez résistant et assez bien poli. Disposés en carrés, ces quatre poteaux se dressaient droit comme un « I », bien solides. Au-dessus, les échafaudages tenaient bien. C’est sur un de ces poteaux qu’on attachait le jeune supplicié, les mains derrière le dos, des cordes aux chevilles, aux genoux, à la taille, bref, de manière à ce qu’il ne puisse pas effectuer le moindre mouvement. Le supplicié agonisait de neuf heures du matin jusqu’au coucher du soleil. Dans ces conditions, la mort était donc plus terrible et plus atroce qu’une simple pendaison haut et court.

À midi, à quatorze heures et à seize heures, changement de position du jeune condamné (afin qu’il garde les yeux bien tournés vers le soleil) en même temps qu’on lui fait ingurgiter un kilo de sel (afin que le sel lui donne soif et sèche le peu d’eau qu’il lui reste dans son corps). En tout, environ trois kilos de sel dans la même journée, mais dès onze heures du matin, le condamné transpirait comme si on lui avait jeté des seaux d’eau sur le corps.

Du début à la fin , le père Farine assistait à toute la scène, arborant constamment son inoubliable sourire absolument serein, sincère, paternel. Les parents de la victime étaient toujours présents. De temps en temps, ils se mettaient alors à genoux, tentaient de baiser les souliers et le bas de la soutane du père Farine, tout en pleurant et en implorant la pardon.

La réponse du père Farine était invariablement la même : « Hommes de peu de foi ! Vous devriez plutôt vous réjouir pour votre enfant ! Maintenant, il va être sauvé : s’il meurt dans des circonstances pareilles, après avoir souffert de la sorte, il va aller directement au ciel sans même passer par le Purgatoire. Tandis que si je le laisse vivre, il risque certainement d’aller en Enfer, à l’allure où je le vois débuter dans sa vie ».

Des centaines de chrétiens assistaient au spectacle, sans rien dire et sans rien faire, totalement soumis et indifférents, à part les sentiments de peur et d’incrédulité qu’on pouvait lire dans leurs yeux. De temps en temps, le père Farine se rendait au presbytère pour quelques minutes. Alors trois ou quatre chrétiens, parmi les plus courageux, le suivaient, ensemble ou un à la fois, pour essayer de lui demander pardon pour les condamnés. Il s ressortaient au bout de quelques secondes : le père Farine ne voulait rien entendre.

Tous les chefs de Chefferies et tous les sous-chefs de la province de Gitega (territoire administratif dont dépendant la Paroisse de Mugera) étaient parfaitement au courant des crimes du Père Farine, mais jamais ce dernier n’a été accusé ni même seulement risqué une simple mutation. Personne n’osait l’accuser, ni auprès de Monseigneur le Vicaire apostolique, ni auprès des autorités coloniales belges.

Et ce n’est pas tout. Car en plus des six écoliers morts devant témoins, il y a eu des dizaines d’autres pendus sur la cloche, mais qui par miracle étaient toujours en vie au fameux coucher du soleil. Alors on les détachait et on les remettait à leurs parents. Je n’ai jamais su ce qu’il en était advenu par la suite, s’ils sont demeurés longtemps en vie ou s’ils sont morts des suites du méchant traitement.

Dans toute la région, le seul et unique sentiment de révolte que j’ai entendu formuler est : « Oh, le père Farine est très sévère ». C’était tout : « Le père Farine est sévère » ! D’autres allaient jusqu’à ajouter qu’il est quand même « Umuvyeyi » (Notre Père) et qu’au fond, il semble gentil, il semble avoir un bon cœur. N’avait-il pas abandonné son pays, sa Patrie bien-aimée, pour venir nous sauver, pour apporter la bonne nouvelle de l’Évangile ?

Certains me semblaient même fâchés contre ces gens-là (les jeunes pendus et leurs parents) qui se permettaient de mettre « Notre Père » en colère !

Voilà ce qu’on appelle la mentalité du colonisé. Quinze ans plus tard, nous allions réclamer l’indépendance, mais malheureusement dans ce même climat où, plus que jamais, nos compatriotes souffraient de la mentalité du colonisé. Dans ces conditions, on peut affirmer sans crainte que notre indépendance a été obtenue par accident.

Kiraranganya Boniface

Montréal, Québec (Canada)

2 réflexions sur « La mentalité du colonisé »

  1. J’allais laisser, pour ajouter de l’eau à votre moulin, un long commentaire; mais en lisant les mentions ci-dessous: » Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:
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    ma source s’est tarie, notamment à cause de la mention « obligatoire ». Ne joue-t-on pas au jeu de Père Farine?

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