Un peuple sans nom et sans pays

A l’image de notre diaspora, nous sommes le produit de ce continent

Un peuple sans nom et sans pays

VigilenNet

Tribune libre de Vigile, samedi 31 mars 2012

Jack Kerouac 2« that horrible homelessness of all French Canadian abroad in America »

Jack Kerouac (1922-1969)

Nous sommes un peuple sans nom et sans pays. Ce que le Grand Jack appelait dans son temps « that horrible homelessness of all French Canadians abroad in America ». Ce terrible châtiment d’être sans patrie en Amérique.

Par affection (et par désespoir), mais surtout parce qu’on a tous un Tremblay quelque part dans notre arbre généalogique, je l’ai appelé « Les Tremblay d’Amérique ». Je n’ai évidemment pas inventé l’expression (l’Association remonte aux années 70), mais j’ai certainement été le premier à l’utiliser pour nommer ainsi notre peuple qui n’a plus de nom à force de s’excuser d’être. A force de se cacher sous le tapis devant la visite.

Pourtant, nous existons bel et bien. Et nous excellons plus que jamais. Nous sommes plus de 20 millions sur ce continent, de Chéticamp à la Nouvelle-Orléans, de Maillardville à Miami, de Montréal à Minneapolis, de Val d’Or à Vegas, de Juneau à Baie-Comeau. Nous sommes le produit de ce continent puisqu’avant, avant de naître ici, nous n’existions pas. Nous étions dans les limbes de l’Histoire.

Dans toute l’histoire de la Nouvelle-France, à peine 30,000 Français sont venus ici, la plupart entre 1630 et 1680. Ils sont venus dans leur pays puisque la Nouvelle-France était aussi française que la Martinique et la Guyanne aujourd’hui. Et beaucoup plus française que Gibraltar est anglais, Hawai américain, Ceute espagnol, la Crète grecque ou Kalingrad russe. Lorsque mon ancêtre, François Noël, a foulé le sol de Québec en 1666, la Nouvelle-France était française depuis 132 ans ! Depuis beaucoup plus longtemps en fait qu’entre la Confédération canadienne et ma propre naissance !

Les deux-tiers sont rentrés en France. Trop frettes les arpents de neige… Trop de moustiques, merde. Trop d’Iroquois, putain. On descend donc des 10,000 braves qui sont restés. Un grain de sable dans l’histoire du continent. Dix mille Français qui ont marié une Canadienne ou parfois une Indienne à leur arrivée. Et qui ont fait beaucoup d’enfants. Beaucoup, beaucoup, beaucoup d’enfants.

L’Amérique du Nord a reçu 80 millions d’immigrants ; elle compte aujourd’hui 350 millions d’habitants. Si on enlève les immigrants toujours vivants (45 millions), les Noirs (35 millions), les Amérindiens (5 millions) et les Tremblay d’Amérique (20 millions), 35 millions d’immigrants auront donc donné 245 millions de Nord-Américains. Un immigrant a produit sept descendants alors que chaque colon français a produit 2000 Tremblay d’Amérique ! On voit tout de suite que notre histoire est complètement différente de celle des autres Nord-Américains : nous ne sommes pas le produit d’une immigration massive, comme le reste du continent, nous sommes le produit d’une natalité massive, phénoménale, à peu près unique dans l’histoire de l’humanité au point où Toynbee avait dit qu’à la fin de temps il ne resterait que deux peuples : les Chinois et les Canadiens français.

On s’est d’abord établi en Acadie et dans la vallée du St-Laurent. Puis on a parcouru tout le continent, à l’huile de bras, voyageant à l’intérieur du continent à l’aide des Indiens, nos alliés plus souvent que nos ennemis. Nous, on n’a jamais massacré d’Indiens, et on ne les a jamais parkés dans des réserves. Le grand historien américain Francis Parkman a écrit sur les relations entre les colonisateurs européens et les Indiens : « les Espagnols les ont tués, les Anglais les ont dispersés et les Français les ont épousés ». C’est tourné les coins un peu rond, mais sur le fond, c’est très juste.

Les Anglais, plus chickens avec les Sauvages, sont restés collés aux rives de l’Atlantique où ils ont développé l’agriculture. Leur sédentarité, un climat et un sol beaucoup plus favorables, sans parler de l’esclavage, leur ont permis de se développer plus rapidement et de s’enrichir pendant que nous on forniquait avec les Indiennes, ce qui a donné les Métis dans l’ouest, ou qu’on élevait des familles de 12 enfants le long du St-Laurent, bénies par notre Sainte-Mère l’Église catholique romaine, sur la Terre de Cain dans un climat sibérien.

Le parcours familial des grandes vedettes de notre prodigieuse diaspora (dont la riche palette ne cesse de m’étonner au fur et à mesure de mes recherches) permet de tracer le parcours géographique de notre peuple sur cet immense continent qui nous a enfantés.

Nous ne sommes pas le produit de l’immigration, comme on nous raconte sans cesse, et nous n’avons pas pris la terre des Indiens, comme on rajoute bêtement. Nous ne sommes pas arrivés par bateaux, nous sommes arrivés dans des berceaux. Nous sommes le produit d’une phénoménale natalité, d’une épopée qui s’étend sur près de cinq siècles, de la Baie d’Hudson à la Baie de San Francisco, du Golfe du St-Laurent au Golfe du Mexique.

Les Guidry

Claude Guédry, l’ancêtre de Ron Guidry, arrive en Acadie vers 1648. Il épouse d’abord une amérindienne (chose impensable chez les Anglais de l’époque) du nom de Kesk8a avec qui il aura un enfant. Puis, Marguerite Petitpas, une Acadienne née vers 1661 à Port-Royal, avec qui il aura 11 enfants.

Leur arrière-petit-fils, sa femme et ses enfants sont déportés par les Gonebicht au Maryland lors du grand nettoyage ethnique. Il en meurt ; sa femme et ses enfants survivent et se retrouvent dans les bayous, près de la Nouvelle-Orléans. Ron Guidry y naîtra deux siècles plus tard. Son bras gauche exceptionnel l’amènera au Yankee Stadium, champion du monde.

Les Landry

René Landry, l’ancêtre de Tom Landry, arrive en Acadie au milieu du 17e avec sa femme Perrine Bourque, Ils auront trois enfants avant qu’elle meure. En 1659, René épouse Marie Bernard, à Port-Royal, qui lui donnera 8 enfants de plus.

Un siècle plus tard, son arrière-petit-fils, Pierre Landry et sa femme Élisabeth Leblanc se réfugient à l’Assomption lors du Grand Dérangement. Au milieu du 19e, la famille se déplace à Kankakee, aux Illinois. Une génération après, on descend plus bas au Kansas, puis, au tournant du siècle, au Texas. C’est là que Tom naît en 1924. Il deviendra coach des Cowboys de Dallas, l’un des plus grands coachs de l’histoire du football.

Les Trudeau

Etienne Trudeau, l’ancêtre de Gary Trudeau (et de Pierre-Elliot), arrive à Montréal en 1648 sur le même bateau que Jean Mance et Marguerite Bourgeois. Il aura 14 enfants, dont 13 gars. Ses fils partent explorer le Mississipi. Zénon devient gouverneur du Haut de la Louisiane (Illinois-Missouri). Ses descendants sont des médecins ; Edouard inventera un traitement contre la tuberculose. Et le petit-fils de ce dernier, Gary, l’un des plus célèbres caricaturistes au monde, au sommet du monde, au cœur de la Grosse Pomme. Comme Ron Guidry.

Les Fortin

Julien Fortin, l’ancêtre de Madonna, débarque à Québec vers 1650. Le 11 novembre 1652, à Cap Tourmente, il épouse Geneviève Gamache, une enfant du pays, née en 1635. Une génération après, la famille traverse le fleuve et se retrouve à La Pocatière. Elle va ensuite à Cap St-Ignace, St-Jean-Port-Joli, St-Simon. Et là, c’est le grand départ vers le cœur du continent. Au tournant du siècle, les Fortin aboutissent au nord du Michigan, un État qui compte plus de 100,000 Canadiens français à leur arrivée.

Madonna Fortin voit le jour en 1932 et sa fille Louise en 1958. Louise descend à Détroit puis se rend à NY conquérir le monde. Comme Gary Trudeau. Comme Ron Guidry. Madonna devient la chanteuse qui a vendu le plus de disques de tous les temps (320 millions), la chanteuse la mieux payée et la plus riche au monde (selon la BBC; http://news.bbc.co.uk/2/hi/entertainment/5391154.stm).

Les Beaupré

Nicolas Bonhomme, l’ancêtre du géant Beaupré, arrive à Québec avec son épouse vers 1641. Ils auront sept enfants. Leur petit-fils, Nicolas Bonhomme dit Beaupré, déménage à Repentigny vers 1700. La famille s’établit à St-Sulpice. Près de deux siècles plus tard, Garpard Beaupré part pour la Saskatchewan où il épouse une métisse. Le géant est né en 1881, il s’est promené à travers toute l’Amérique, pour mourir à St-Louis, en plein cœur du continent.

La famille de Francis Ouimet part de Terrebonne à la fin du 19e et s’installe au Massachusetts. Le jeune, qui habite devant un terrain de golf, apprend à jouer et bat le champion du monde. Il finit pro au Saint-Andrew en Écosse, la Mecque mondiale du golf.

La famille d’Eva Tanguay part pour le Massachusetts en 1886. Eva atteint la gloire à NY, perd son fric lors du krach de 29 et meurt en Californie.

Pierre Cossette nait à Valleyfield. Sa famille part au début du 20e siècle et va s’installer à côté des studios d’Hollywood. Il devient le père des Grammys et revient mourir à Montréal en 2009.

Les frères Beaudry partent chercher de l’or en Californie lors du grand Rush. Ils descendent à Los Angeles et deviennent millionnaires en faisant du commerce. Et Prudent, maire de Los Angeles

Plus tard, à la fin du 20e, Céline Dion et Guy Laliberté prendront le même chemin.

L’histoire de notre diaspora c’est l’histoire de notre peuple qui a parcouru tout le continent, depuis les tous débuts de l’arrivée de l’homme blanc au 16e siècle. Nous sommes le produit de ce continent.

A côté de ces célébrités, y’a des millions de Tremblay d’Amérique anonymes qui ont parcouru le même trajet. Des Tremblay qui ont fondé des villes et des paroisses sur tout le continent, notre continent. Notre peuple s’est établi à Timmins, à St-Boniface, à St-Paul, Détroit, à la Nouvelle-Orléans, à Lowell, Louisbourg, St-Louis, Providence, Bourdonnais, Caraquet, Gravelbourg, Fall River, Juneau, Milwakee,Woonsockect.

Nous ne sommes pas arrivés par bateaux ou par Air Transat, comme on nous raconte bêtement. Nous sommes arrivés dans des berceaux sur ce continent où sont nés nos parents, nos grands-parents, nos arrières-grands-parents, nos ancêtres, depuis des siècles. Notre peuple sans-nom, qui s’appelait Canadien, puis Canadien français, et que j’appelle par affection Tremblay d’Amérique, s’est créé ici, à coup de 12 enfants à table. Un peuple qui a exploré et développé tout le continent. Et qui attend toujours son pays, son homeland, pour donner enfin un sens à son Histoire peu commune.

Ce homeland-là, ce ne sera pas l’Illinois. Ni le Missouri. Ni le Manitoba. Ni la Louisiane. Ni la Nouvelle-Écosse. Il y a longtemps que ces territoires ont été perdus. Perdus à jamais. Ce homeland ce sera le Québec, le seul endroit sur ce continent, le seul endroit au monde, où notre peuple est encore majoritaire. Mais il va falloir faire vite, parce que la tibétisation de notre peuple est déjà commencée. Et ça va vite.

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Effectivement, il y a deux fois plus de Québécois aux Etats-Unis, qu’au Québec !!!!!

31 août 2013, par Laurent Desbois

Entre 1870 et 1930, l’exil de millions de Québécois aux États-Unis (13 millions sont recensés en 1980)

Lors du recensement américain de 1980, les personnes qui se déclaraient d’origine Française constituaient le cinquième groupe ethnique aux États-Unis, juste avant les Italiens et ils représentaient 13 millions d’habitants. Si le sujet vous intéresse, il est exploité dans le livre « The French-Canadian Heritage in New England » écrit par le franco-américain Gerard J. Brault, University Press of New England, Hanover, 1986. On peut y lire : « Many Franco-Americans also have Acadian ancestors, but an overwhelming majority are descended from Quebecois. Emigration to the United States occurred mainly from 1870 to 1930, peaking in the 1880s. ».

Effectivement, il y a deux fois plus de Québécois aux Etats-Unis, qu’au Québec !!!!!

Cette émigration était aussi motivée par les mêmes raisons économiques.

Après la pendaison de Louis Riel et le génocide des métis dans l’ouest canadien, le gouvernement canadien appliqua une politique de colonisation dans l’ouest canadien, en y distribuant des subventions et en y donnant des terres. Il y eu une vaste campagne de promotion en Europe. Il est important de noter que ces privilèges n’étaient pas disponibles pour les Québécois, qui manquaient de terres à cultiver. C’est ce qui explique leur exil aux États-Unis, plutôt que vers l’ouest canadien.

Il y a environ 7 millions de francophones au Québec et un million de francophones hors Québec. Si le Canada avait permis aux Québécois de coloniser l’ouest canadien plutôt que de s’exiler aux États-Unis, on peut supposer qu’il y aurait 21 millions de canadiens dont la langue maternelle serait le français. La population totale du Canada est d’environ 32 millions d’habitants.

Les francophones seraient, et de loin, le groupe majoritaire dans ce beau Canada, n’eut été des lois du gouvernement d’Ottawa.

Est-ce que la politique d’exclusion des Québécois dans ce beau Canada, tout comme celle de rendre le français illégal dans tous les autres provinces à la même époque, était préméditée ou un pur hasard ???

Serait-ce l’application du rapport Durham, qui préconisait la disparition ou le génocide des Québécois ? Que de se poser la question, c’est d’y répondre !!!!

2 réflexions sur « Un peuple sans nom et sans pays »

  1. S’il existe un peuple dont on a tu le nom tout en reniant son histoire, c’est bien celui des Métis nés des deux côtés de la Baie-des-Chaleurs, nés bien longtemps avant les Métis de l’Ouest canadien. Je suis de ces Métis nés du souffle micmac de la Baie-des-Chaleurs.

    Cela étant dit, il est faux de croire et de dire que  » … nous n’avons pas pris la terre des Indiens ».

    On ne peut pas réfuter l’existence des seigneuries, celles-ci étaient créées sur le sol autochtone, sol sur lequel les Premiers Peuples permirent à Champlain et à ses colons de s’y établir, à condition de se comporter comme des frères. Hélas, les frères devinrent des voleurs !

    Les Autochtones, exceptés les Cris (La Paix des braves) n’ont jamais au grand jamais cédé leur terres.

    Désolé de vous décevoir dans vol délire …

    Clarence-Edgar Comeau

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